Un article écrit par Frédéric Lewino pour Le Point auquel j'ai collaboré avec plaisir. (texte intégral).
Envahis par les mobil-homes, les campings deviennent de véritables cités. Avec la cabanisation illégale, c'est désormais la principale menace de colonisation du littoral.
La soixantaine depuis longtemps dans le rétroviseur, Raymond et sa femme Odette restent des inconditionnels du camping. « Mais attention, précise-t-il avec véhémence, sous la tente ! » Ah bon, existe-t-il donc une autre forme de camping ? Que ne fallait-il pas dire ! Raymond explose : « Dites-moi, jeune homme, récemment, avez-vous visité un camping en bord de mer ? Certainement pas, car vous auriez alors remarqué que les tentes ont disparu, remplacées par des mobil-homes ! C'est plus des campings, ça. C'est devenu des... bétonlands ! »
Raymond n'est pas le seul à se sentir floué. De Dunkerque à Biarritz et de Perpignan à Menton, la plupart des campings se sont couverts de mobil-homes, les faisant ressembler à des lotissements. Ces minivillas sur roues connaissent un succès formidable. En douze ans, leur nombre est passé de 20 000 à 120 000 sur le littoral. Et l'invasion se poursuit au rythme de 20 000 unités par an ! Le vieil homme amer a bien raison : les campings, surtout 3 et 4 étoiles, sont devenus des villages de vacances où la tente nomade s'est transformée en villa sédentaire, la piscine en complexe nautique, l'épicerie en supermarché, le terrain de boules en tennis, la buvette en restaurant, et le juke-box en discothèque. C'est Sin City ! Alors que la loi littoral est parvenue ces dix dernières années à juguler l'appétit des promoteurs, les propriétaires de campings ont pu, en toute liberté, urbaniser leurs établissements. Deux poids, deux mesures.
Le mobil-home roule comme l'autruche vole... Les délégués régionaux du Conservatoire du littoral dénoncent unanimement ce phénomène paradoxal. « Toutes les communes de la Côte sont touchées », constate Christian Desplats, responsable de la région Paca.
Pour preuve, le Kon Tiki, un établissement installé le long de la plage de Pampelonne (commune de Ramatuelle), à deux pas de Saint-Tropez. Pas moyen de le manquer. Son propriétaire a érigé face à la mer une impressionnante « muraille de Chine » constituée d'une bonne trentaine de mobil-homes déguisés en paillotes polynésiennes pour faire avaler la pilule. Mais le meilleur est derrière : une immense fourmilière composée de centaines de mobil-homes serrés comme des sardines en caque. Ici, les riches retraités, propriétaires de leur résidence mobile. Là, celles qui sont louées à une clientèle aisée capable de payer jusqu'à 1 500 euros par semaine. Plus loin, les logements plus rustiques sont destinés aux familles. Enfin, parqué près de l'entrée, voici le camp des derniers des Mohicans à encore préférer la tente. Le Kon Tiki n'est qu'un exemple parmi d'autres. Il y a pis.
Ce succès colossal, le mobil-home le doit à de minuscules appendices qu'il cache piteusement sous lui : ses roues. Grâce à elles, la loi fait semblant de le confondre avec une caravane. Contrairement au bungalow cul-de-jatte, le mobil-home ne nécessite donc pas de permis de construire, n'est pas imposable et n'est frappé par aucun quota. Tout cela parce qu'il est censé pouvoir migrer. La bonne blague. Voilà exactement ce qu'un tout récent décret réclame comme performance à cette... résidence mobile : une surface inférieure à 40 m2, la capacité de rouler 500 mètres à 20 km/h et d'effectuer un virage, d'être bougé de son emplacement en moins de trente minutes. Dans les faits, le mobil-home roule comme l'autruche vole. Sa seule migration l'apporte de l'usine au camping.
Cette maison faussement roulante débarqua avec les Anglais dans les années 1970. L'invasion resta confidentielle jusqu'en 1997, quand Annette Roux, Pdg de Beneteau, a l'idée lumineuse de relancer son entreprise encalminée en lui faisant produire des mobil-homes imitant des villas miniatures. Le succès est immédiat. Dominique Guez, PDG d'Homair Vacances, à la tête de sept campings pour 3 200 mobil-homes, jubile : « Le potentiel pour le mobil-home est énorme. Nous réduisons l'espace alloué aux tentes chaque année. C'est la clientèle qui le veut. » Même si la vie en mobil-home dans ces parcs de loisirs n'a plus grand-chose à voir avec la vie sous la tente, les vacanciers n'y voient que du feu. « Ils se considèrent toujours comme des campeurs et revendiquent les notions qui sont associées à ce mode de loisir », explique France Poulain, une architecte qui a consacré sa thèse au camping.
La puissante Fédération de l'hôtellerie de plein air veille... Le succès du mobil-home a pris tout le monde de court, y compris les maires. Cependant, certains d'entre eux commencent à s'inquiéter de cette urbanisation insidieuse qui échappe à leur contrôle. Yvon Bonneau, maire de Perros-Guirec, se révolte : « Il est temps de réglementer les campings pour les empêcher de faire n'importe quoi. Ils devraient respecter une juste proportion entre les tentes et les caravanes. » Président de l'Anel (Association nationale des élus du littoral), Yvon Bonneau se plaint notamment de ne pas avoir été invité à la réflexion sur le récent décret redéfinissant les mobil-homes. Plus excédés encore, plusieurs maires de l'île de Ré et de la Côte basque ont pris un arrêté municipal pour assimiler les mobil-homes à des bungalows, afin de les soumettre à un permis de construire. Mais la mesure risque fort d'être annulée par les tribunaux.
De plus en plus de voix sur le littoral s'élèvent pour réclamer qu'un quota limite la présence de ces résidences (im) mobiles. Mais la puissante Fédération nationale de l'hôtellerie de plein air veille au grain. Elle multiplie les mises en garde à l'administration contre toute velléité de limitation. Son président, Guylhem Féraud, n'hésite pas à se montrer menaçant : « Nous ne l'accepterons jamais. Nous sommes prêts à nous mobiliser... » C'est un ultimatum à peine voilé. Sans doute a-t-il été entendu, car, à la sous-direction de l'Urbanisme du ministère de l'Equipement, on ne parle plus vraiment de quota : « Si nous devions en instaurer un, les campings installeraient des caravanes bien plus moches à la place des mobil-homes. » Bref, l'affaire est pliée. Les campings vont pouvoir continuer à s'urbaniser et les défenseurs de la nature à crier : « Mobil go home ! »
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© le point 23/06/05 - N°1710 - Page 86 - 3770 mots