Ce qui apparaît déterminant lorsque l'on évoque le camping aujourd'hui en France, c'est bien la force de son invisibilité en tant que pratique sociale. à cela, plusieurs explications.
Tout d'abord, le fait que tout le monde « sache » et « connaisse » ce qu'est le camping et qu'il n'est donc souvent nul besoin d'explications est une preuve extraordinaire des forces sociétales à l'oeuvre visant à mettre dans l'ombre une pratique.
Les individus ne souhaitent plus faire l'objet d'un contrôle social pendant leurs périodes de temps libre et, de manière inconsciente, les Français oeuvrent depuis plus d'un siècle pour que le camping apparaisse comme une pratique populaire, facile, sans enjeu, clairement compréhensible par les classes supérieures, non porteuses de conflits potentiels,... et qu'à ce titre, le camping soit exclu des « mouvements » sociaux auxquels il est nécessaire de s'intéresser pour savoir ce qui est en cours dans la société.
Clairement, cet ouvrage démontre que le camping permet effectivement de comprendre les évolutions de la société et aussi que sa compréhension ne remet pas son existence en cause.
Puis, l'ensemble des aspects liés à la précarité et à la pauvreté de centaines de milliers de personnes qui sont obligées d'habiter dans des habitats de plein air pour se loger est entièrement dissimulé derrière les aspects plus ludiques. Il est donc très compliqué de chercher à disposer d'informations correctes et fiables sur ces ménages qui détournent des objets faits pour le loisir. Le terme de camping apparaît impropre et c'est plutôt celui du campement, pratique millénaire, qui doit être retenu.
La question qui pourrait demeurer à ce stade est de s'interroger sur la pérennité d'un affichage des habitats de plein air comme ayant pour unique destination le loisir. La société doit-elle accepter que ces habitats puissent correspondre à un mode de vie alternatif aux constructions plus classiques et rejoindre l'idéologie américaine ? La réponse actuelle qui vise à ne pas dénaturer la fonction initiale des habitats de plein air est adaptée à une société qui continue à vivre sur les fondements du monde post-industriel. Si ces fondements étaient amenés à connaître des modifications, gageons que la question pourrait être à nouveau posée.
Enfin, c'est bien un alter ego à la ville qui a été créé en utilisant la nature. Les individus vivant dans un univers urbain dont ils regrettent souvent l'aspect « bétonnisé » cherchent pour leurs vacances un lieu où ils peuvent avoir l'illusion de ne pas subir le monde urbain dans lequel ils travaillent. C'est la notion de travail qui est refusée durant ces périodes de temps libre, même si, et c'est bien l'un des paradoxes du camping, le loisir n'est globalement accessible que pour ceux qui disposent de revenus liés à une activité salariée ou artisanale ou autre.
Il n'est plus aujourd'hui possible de parler, sauf pour quelques résistants entrés en décroissance, d'un retour à la nature. Celui-ci n'est possible, en réalité, que si les campeurs rejetaient par-là même le monde urbain. Or, c'est bien d'une dualité, d'un couple dont il s'agit. Les campeurs viennent de la ville, emportent leurs habitudes avec eux et surtout aménagent la nature pour qu'elle leurs soit plus favorable. Et la relation du camping à la nature est en permanente évolution.
En cela, le camping est une pratique très flexible et adaptable aux évolutions du monde urbain. Elle correspond certes à un retour à la nature et c'est même son fondement, mais celui-ci est en permanente modification de deux manières. La première parce que la relation et la connaissance que nous avons de la nature ont beaucoup évolué. La seconde parce que les objets que nous apportons dans la nature pour y séjourner de manière plus ou moins importante, grégaire, confortable... sont chaque année différents. Certes, la tente, la caravane ou la lampe de poche, la popote connaissent des avancées technologiques pour être plus résistants, moins lourds, plus designés... mais leur fonction ne change pas et ce n'est guère le cas non plus pour leur aspect.
Les campeurs effectuent donc un « retour vers la nature » dans un cadre structuré afin qu'il leurs soit agréable, ce qui correspond parfaitement à une pratique de loisir.
Alors, ce qu'il faut retenir de tout cela, c'est bien que le camping -et sa déclinaison plus précaire du campement- est une pratique très complexe qui mérite que l'on s'y attarde et que l'on prenne le temps de la comprendre et de la découvrir. Il n'existe pas UN camping mais plutôt de multiples formes de camping. Les grandes distinctions qui ont participé à la construction de cet ouvrage doivent vous permettre d'aborder avec plus de facilités les formes de camping et les campeurs, mais il faut bien se garder des idées reçues.